Les Ritals, ti ricordi ?
Après « macaronis », c’était ainsi qu’on nommait les émigrés italiens venus dans les années 30 puis après-guerre dans les années 50, ti ricordi ?
Les Ritals, c’est le titre du roman autobiographique paru en 1978, écrit par l’immense François Cavanna, dont on pourrait fêter le centenaire de la naissance en 2023, hélas disparu en 2014. Ti ricordi, ce grand échalas à la tignasse improbable et aux bacchantes à la gauloise, grande gueule et formidablement vivant, co-fondateur avec le Professeur Choron de Hara Ki, l’irrévérencieux et Charlie Hebdo malheureusement connu aujourd’hui de tous pour l’assassinat de ses membres par des terroristes en janvier 2015 ?
Les Ritals, c’est le titre de la pièce du roman éponyme adaptée par Mario Putzulu sur une proposition de Rocco Femia, fondateur et directeur de l’excellente revue bilingue RADICI (https://www.radici-press.net/ ) à Bruno Pudzulu, comédien et Gregory Daltin musicien.
Sur la scène d’une petite salle du Théâtre Lucernaire à Paris, le décor est minimaliste, au centre une table couverte d’une toile cirée et trois chaises et une autre sur le côté, un bel accordéon à ses pieds, sur le côté gauche, une veste « bleu de travail » suspendue un peu en hauteur.
Et c’est François qui raconte. Papà ! Et c’est tout un monument à la gloire de son père que l’enfant Cavanna dans la peau de Bruno Pudzulu, élève, avec beaucoup de tendresse, à ce Papà, tout petit maçon, venu de Bettola, village du Val de Nure en Emilie Romagne, dans les années 30. La maman, elle, subit la misère des petites gens, elle vient de la Nièvre et a le sourire en berne. Comment ont-ils pu se marier ces deux-là ?
Mais Papà ! Quand le petit garçon tout fier parce que maman a obligé Papà à l’emmener au Cercle italien pour le surveiller, c’est la magie du théâtre, le comédien se fait tout petit en donnant la main à celle virtuelle de la veste « bleu de travail », et l’on voit les deux déambuler dans les rues de Nogent-sur-Marne, zyeutés par les commères. Papà, c’est la statue du Commandeur, non pas celle qui se dresse pour annoncer le châtiment du coupable, mais celle qui protège son fils avec bienveillance et qui le lui rend bien.
L’heure et quart se passe ainsi rythmée par l’accordéon et les airs de l’époque, C’est la java bleue, Tino Rossi, etc. Le musicien ne s’adresse qu’une seule fois au petit François qui parle de faire le tour du monde, et las des digressions, lui demande : « Et alors ce tour du monde ? »
Avorté ! Parti à l’âge de 14 ans avec un copain à toute allure à vélo vers Marseille, l’échappée durera 9 jours quand même, les deux rentreront penauds dans leurs foyers. Aucun reproche ne lui sera fait mais une peine immense pour l’adolescent d’apprendre que Papà a pleuré tout le temps de son absence.
L’hommage à Cavanna père et fils est réussi, chacun(e) est ému(e), touché(e), a ri aussi, les descendants ont retrouvé quelques accents et attitudes de leur Papà italien à eux. Mais pas seulement, de fait, précise Mario Pudzulu, le metteur en scène, « cette humanité faite de petitesse et de grandeur, de cruauté et de tendresse, d’égoïsme et de générosité, nous aidera peut-être à nous reconnaître dans les émigrés d’aujourd’hui, nous aidera peut-être à les recevoir avec respect, nous aidera peut-être à nous souvenir pour embellir l’avenir ».
C’est tout ce que nous souhaitons. Grazie Papà.
Patricia Solini
L’appréciation de Chantal Delanoë
Les Ritals J’ai beaucoup aimé ce spectacle émouvant, juste, sobre dans la forme, souvent drôle, et à en juger par les réactions du public – la salle était pleine – je n’étais pas la seule ! Forme minimaliste en effet : une table et une veste accrochée pour tout décor, un accordéon pour l’ambiance (les ambiances!) et l’acteur Bruno Pudzulu seul en scène. Avec ses mots, ses chants, les expressions de son visage, ses gestes, il raconte son enfance et son adolescence, ses parents, son père surtout, émigré italien sans instruction, débordant de générosité, de joyeuse humanité et surtout d’amour pour ce fils qu’ il emmène avec lui ; sa mère aussi, française, plus austère, instruite, avec sans doute les frustrations d’une femme d’émigré. Et tout ça sur fond d’années troubles d’avant fascisme. C’est habile, efficace, touchant. Une tranche de vie, d’histoire aussi ; c’était hier, ça peut être aujourd’hui …